Le palmarès des Trophées Tangente 2019


l'équipe du Club Tangente

Les Trophées Tangente 2019 ont été décernés le samedi 30 novembre au Palais du Luxembourg. Comme chaque année, ils ont récompensé des livres et des projets remarquables autour des mathématiques.

Écriture de livres ou d’articles, programmes informatiques, le tout autour des mathématiques, sont comme chaque année au centre des Trophées Tangente. L’édition 2019 n’a pas failli à la règle, avec une orientation plus marquée vers l’exploitation de cette interdisciplinarité dans un contexte scolaire. Organisés par le Club Tangente, les Trophées ont de nombreux partenaires : les calculatrices CASIO, l’APMEP (Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public), la SIF (Société informatique de France), le site CultureMATH de l’École normale supérieure, le magazine Programmez !

 

 

 

Le jury du Prix Tangente à la fin de la délibération.
De gauche à droite, Martine Janvier, Nathalie Juste, Bertrand Hauchecorne,
Anne Boyé et Philippe Boulanger.

 

 

Le Prix Tangente du livre à Mathematikos

À tout seigneur, tout honneur, commençons par le Prix Tangente du livre, dont c’était la onzième édition. Après Alain Badiou et Gilles Haéri en 2016, Mickaël Launay en 2017 et Jordan Ellenberg en 2018, qui allait obtenir le désormais célèbre prix ? Rappelons qu’il récompense chaque année un ouvrage « ayant donné envie à un large public d’en savoir plus sur un ou plusieurs domaines des mathématiques ».

Dans un premier temps, les internautes avaient voté pour désigner les « nominés » (ou finalistes) parmi douze titres en compétition, sortis en 2018 ou au début de 2019, et dont une note de lecture est parue dans Tangente*. Délaissant cette année des ouvrages traitant de Big Data, d’intelligence artificielle, de théorie du chaos ou de défis mathématiques, les votants ont préféré sélectionner cinq livres très différents, allant d’une bande dessinée à un ouvrage de philosophie mathématique, en passant par un « polar », un recueil de textes de l’Antiquité et un ouvrage de vulgarisation, dont les auteurs étaient dans l’ensemble peu connus de nos lecteurs. Le jury a attribué le Prix Tangente à Mathematikos, paru aux Éditions des Belles Lettres.

 

 

Dans cet ouvrage, Antoine Houlou-Garcia a sélectionné de courts textes des plus grands savants de l’Antiquité concernant les mathématiques, en traduction française, et les a présentés par thème. Le jury a apprécié le choix des exemples, le souci pédagogique de l’ouvrage – en particulier les commentaires qui remettent chaque extrait dans son contexte – ainsi que les repères chronologiques. Au fil des pages on comprend la démarche intellectuelle d’une époque où les mathématiques faisaient partie intégrante de la philosophie. Comme l’affirme Poincaré, cité par l’auteur, « elles sont à la fois une manière de comprendre le monde, de s’émerveiller de la beauté de l’univers et un jeu formidable auquel on peut prendre un grand plaisir ».

 

Le jury a attribué une mention à Je fais des maths en laçant mes chaussures de Clara Grima (Éditions Les Arènes). Dans cet ouvrage qui est l’aboutissement d’un blog à succès en Espagne, cette « amoureuse des mathématiques » nous apprend comment des situations de la vie courante, parfois incongrues, peuvent être mathématisables et provoquer de l’émerveillement.

 

 

 

L’excellent livre Généalogie des mathématiques d’Alain Séguy-Duclot chez Spartacus, n’a pas été primé malgré sa grande qualité. La compréhension de cet ouvrage nécessite un bon bagage, tant en philosophie qu’en mathématiques, et le jury l’a jugé d’un niveau pouvant dérouter certains lecteurs. La Rédaction de Tangente le recommande cependant à ceux qui veulent approfondir leur savoir sur les liens qu’ont tissés au cours des siècles ces deux disciplines.

 

 

 

Malgré l’intérêt des sujets abordés, la BD les Oscillations de Joseph Fourier d’Emmanuel Marie et Emmanuel Cerisier (Petit à Petit) et le polar Vivre avec la main d’un homme mort de Ronan Quarez (Le Pommier) n’ont pas reçu la consécration du jury.

 

 

Le Prix Tangente des lycéens à la Suite de Skolem

Le Prix Tangente des lycéens est au Prix Tangente du livre ce que le Goncourt des lycéens est au prix Goncourt. Il est donc organisé sur l’année scolaire (voir sur tropheestangente.com/PTL2020.php), ce qui explique qu’il ait été décerné en juin 2019 (voir Tangente Éducation 49). Deux mentions se sont vu attribuées à Toute résistance serait futile de Jenny Colgan (voir la note de lecture dans Tangente 183, 2018) et à la Théorie des jeux en images de Ivan et Tuvana Pastine (voir notre hors-série 67, 2018).

 

Le vainqueur est l’album en deux tomes la Suite de Skolem de Jean-François Kierzkowski et Marek (Éditions Pirate(s), voir Tangente 180, 2018). Les protagonistes de l’histoire se lancent à la poursuite d’un mystérieux visiteur dont les dates d’apparition suivent le schéma de construction d’une suite de Skolem (voir encadré).

 

 

Regardez cette ligne :
10, 8, 3, 4, 2, 3, 2, 4, 9, 8, 10, 12, 13, 11, 6, 7, 5, 9, 1, 1, 6, 5, 7, 12, 11, 13.
Elle se compose de vingt-six entiers séparés par vingt-cinq virgules. Tous les entiers de 1 à 13 sont présents et figurent tous en deux exemplaires. Entre les deux 10, il y a dix virgules ; entre les deux 8, il y a huit virgules ; entre les deux 3, il y a trois virgules… Cette propriété est vraie pour tous les entiers de 1 à 13. C’est tout à fait indiqué dans un numéro contenant un dossier sur l’autoréférence !
Ce type de suite porte le nom du mathématicien norvégien Thoralf Skolem. Que sait-on sur elles ? Déjà, elles ne peuvent contenir qu’un nombre N précis de terme : quand on divise N par 8, le reste doit être égal à 0 ou 2 (c’est le cas ici car 26 = 3 × 8 + 2). Une suite de vingt-cinq termes sera donc impossible à construire, de même pour vingt-sept termes. Une suite de dix termes est possible (10 = 8 × 1 + 2), comme celle-ci : 3, 5, 2, 3, 2, 4, 5, 1, 1, 4.
Maintenant, que ne sait-on pas ? On ignore combien il y a de suites de Skolem ayant plus de cinquante termes ! Celles qui ont exactement N = 50 termes sont au nombre de 1 317 281 759 888 482 688, mais après ? Eh bien, cela explose. On pense qu’avec N’ = 56 termes, il y a environ trente mille fois plus de suites qu’avec 50.


Éric Angelini

 

 

Prix Bernard-Novelli : des lauréats de plus en plus jeunes

Le Prix Novelli récompense depuis plusieurs années des jeunes (collégiens ou lycéens) ayant programmé, seuls ou en groupe, un jeu mathématique. Depuis 2019, les établissements scolaires peuvent l’organiser en interne durant l’année scolaire, puis sélectionner les meilleurs projets, qu’ils adressent au Club Tangente. Ces projets sont alors examinés par le jury avec les projets individuels (ou de groupes). Pour l’année scolaire 2019–2020, la date limite d’inscription a été repoussée au 31 décembre 2019, tant pour les établissements scolaires que les candidatures individuelles ou de groupes.

La procédure d’examen des candidatures par le jury a été réalisée en fonction des critères suivants : originalité et créativité du concept ; « jouabilité » et plaisir des utilisateurs ; qualités techniques (algorithmique, concepts mathématiques et code) ; contenu susceptible d’être amélioré, complété et adapté vers une version exploitable. À partir de ces critères, cinq projets ont été retenus par le jury :

• Catwalk, projet double réalisé par deux groupes d’élèves du collège Jules-Simon à Vannes (Morbihan) ;

• Entreboules, un jeu permettant d’additionner le maximum de points réalisé en C++, conçu par le jeune Alexis Henriot (12 ans !) ; 

• Picross, réalisé par Jean Berthaud, lycéen rouennais (Seine-Maritime) ;

• PolyVersE (ou PolyVers Explorer), développé par les lycéens Pascal Engélibert et Michaël Rouves en langage Rust ;

• VegeBattle, réalisé en Java et XML par le lycéen Raphaël Fromentin.

 

Cette année, le choix a été plus difficile que lors des éditions précédentes, chaque projet ayant des plus-values différentes par rapport aux critères demandés. Le jury a décidé de décerner le Prix Bernard-Novelli 2019 au jeu Catwalk, récompensant ainsi l’excellent travail de deux jeunes collégiens qui ont réussi à faire un jeu convivial, demandant de la réflexion pour résoudre le problème proposé, utilisant au mieux le langage Scratch qui leur était imposé pour la réalisation du projet dans le cadre de leur établissement. Les vainqueurs se nomment Côme Trossat et Valentin Moguérou et sont élèves de 4e.

Le jeu propose une grille de seize cases dans laquelle se trouvent un chat et une gamelle, placés dans deux cases distinctes. Le but est de dessiner un chemin menant du chat à sa gamelle. Des nombres à droite et au-dessous de la grille indiquent combien de cases sont traversées par ce chemin, chats et gamelle compris, sachant que le chat se promène uniquement horizontalement et verticalement et qu’aucune case n’est visitée plus d’une fois.

 

 

 

Catwalk, le projet gagnant.

 

Une mention spéciale a été décernée au projet VegeBattle de Raphaël Fromentin. Le jeune auteur a proposé une version fonctionnant sous Android, fluide, agréable à utiliser et addictive. Ce jeu de grille logique a pour but d’obtenir un nombre de point maximal dans le temps imparti en retournant les cases de la grille sans tomber sur les cases rouges. La logique est requise pour résoudre des grilles construites aléatoirement. Le graphisme sous forme de légumes (d’où le titre du jeu…) est intéressant et convivial.

 

 

 

VegeBattle, la mention.

 

Le jury tient cependant à féliciter les auteurs des trois autres projets qu’il a sélectionnés, mais qu’il n’a pas primés. En effet, il fallait faire un choix, mais les jeux proposés auraient tous mérité d’être lauréats du concours. Citons en particulier Entreboules, développé par le très jeune Alexis Henriot, qui propose de jouer, sur un damier 5 × 5 où apparaissent aléatoirement douze boules portant des nombres compris entre 1 et 3. Les joueurs doivent cliquer sur une boule, qui va prendre la couleur du joueur et tomber jusqu’à rencontrer une autre boule ou le bas du damier. Si elle est de la couleur du joueur, elle ajoute au nombre qu’elle porte le nombre de la boule rencontrée et elle s’arrête à sa place. Facile ? Pas tant que cela !

 

 

Le Prix du meilleur article à Antoine Rolland

Terminons par le Prix du meilleur article, un concours de rédaction d’articles autour des mathématiques que le Club Tangente organise en partenariat avec l’APMEP et le site CultureMATH. Ce concours est individuel, ouvert à tous à l’exception des journalistes professionnels titulaires d’une carte de presse, et la participation est gratuite. L’objectif est de présenter, via un article écrit depuis moins d’un an et jamais publié dans un support professionnel, un sujet lié aux mathématiques ou à l’implication des mathématiques, sous une forme attractive pour un vaste public. Cette année, le prix a été attribué à Antoine Rolland, universitaire lyonnais, spécialiste de statistique, pour son article Qui a (vraiment) le pouvoir au Parlement ? L’objet d’étude est le parlement européen élu en mai 2019. En supposant que les non-inscrits votent de manière identique, il compte dix groupes politiques. Le pouvoir réel d’un groupe politique ne se résume pas à son nombre de sièges, car le jeu des coalitions de plusieurs groupes peut en décider autrement.

Les mathématiques peuvent aider à mesurer ce pouvoir réel à travers des indices. L’auteur en utilise deux. Le premier, celui du juriste américain John Banzhaf, utilise la notion d’individu décisif (au sens où une coalition gagnante ne l’est plus sans lui). Le second, celui des mathématiciens et économistes Lloyd Shapley et Martin Shubik, considère les votes des individus de manière séquentielle. Il analyse une permutation de l’ensemble des individus. Au fur et à mesure des votes, il arrive un moment où un individu seul rend la coalition gagnante. L’auteur montre que, selon chacun de ces deux indices, les trois plus gros groupes politiques (Parti populaire européen, Socialistes et démocrates, Libéraux renommés RENEW) sont en réalité plus forts en proportion que leur nombre de sièges (de l’ordre de 4 %), tandis que tous les autres groupes politiques sont en réalité plus faibles en proportion que leur nombre de sièges.

L’article, et c’est l’une des récompenses, sera publié dans un prochain numéro de Tangente. L’auteur de cet article s’est vu remettre une superbe œuvre de Denise Demaret-Pranville. Cette belle journée au Palais du Luxembourg a couronné des lauréats particulièrement bien en réussite pour les Trophées 2019 de Tangente !

 

 

 

Le Trophée remis au vainqueur du Prix du meilleur article.

 

 

* Rendez-vous sur tangente-mag.com et cliquez sur « Notes de lecture » pour retrouver les recensions, triées par ordre alphabétique du titre.